La lumière de la neige – Daniel Keene – 2006

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The snow’s light – Daniel Keene – 2006

1.
Weightless as sound
Its origin collapsed into void

Impossible light of dead stars
Kindled in the bright emptiness

Boundless as a drop of water falling
Or an almond flower

Trembling on its branch
Light strikes her flesh and is vanquished

As real as sparks from a furnace
You shower her upturned face

She is the threshold where shadows are born
Where light discovers its unforgiving borders

2.

Her breath has misted the windowpane.  A small cloud of her breath persists, there on the glass.  Outside, snow is falling.  Her breath has frozen on the glass.  Perhaps she spoke, there, very close to the window.  What would she have said?  One word?  A whole sentence?  She has left this cloud of breath behind for us; for us to wonder what it was she said, there, so close to the window, watching the snow fall.

I have waited in this light I have made no sound
I have hidden in this light I have touched nothing

She was here alone.  No one would have heard her speak.  But perhaps she spoke softly.  She whispered, watching the snow fall.  What sound does the snow make, falling against the glass?  Perhaps she wanted to speak as quietly as snow falling.

I have carried this light beneath my fingernails and on the tips of my eyelashes and in the grain of my skin
I have made no sound I have touched nothing

She has been here before.  She comes and goes silently.  Often she stands motionless in the shadows, her body more sensed that seen, like a bruise on  the darkness.

I have swum in this light as weightless as a mountain
I have walked in this light as immobile as a wave

Here is where she stepped out of the hot bath. Steam rose from her skin.  Her hair was dripping.  Drops clung to her shoulders.  She took long, deep breaths.  She looked towards the window.  She saw the snow falling. 

I have swallowed this light and felt its sorrow on my tongue I have spun this light into a cord to bind my soul to my flesh 
I have made no sound I have touched nothing

She walks slowly into the light falling from the window.  The light clings to her.  The shadows of snowflakes drift across her skin.

I have caressed this light as one caresses a bird in flight
I have spoken to this light the uninvented words of my silence

She is as naked as the snow.  The falling snow whispers something to her.  She listens.  The snowflakes that fall against the window dissolve on the glass.  She watches them disappear.  Her face is very close to the glass.  She remembers snowflakes dissolving on her face.  She whispers to the falling snow.

Light sleeps against my body like snow falling 

3.

She may have fallen with the rain.  The rain, iron grey and cold, that fell all night.  If not with the rain, then she must have arrived on the wind.  It began at dawn, rippling the puddles, bending the trees.  The clouds scattered as the sun rose.  If not brought here by the rain or the wind, then she must have risen from the earth, like the first blade of grass in the spring, stabbing through the melting snow.

We can find no trace of her arrival.  There are only signs of her presence, and perhaps of her departure.  These signs seem insignificant at first.  One has to look very closely.  This mark here, on the frame of the door.  Can you see it?  A shoulder has leant here, a warm, damp shoulder.  The pale wood is ever so slightly darker, just here, a round patch, almost like the faintest of shadows. 

We have waited and watched, night and day, for so long now.  Our numbers dwindle, it’s true.  But those of us who remain refuse to lose hope.

It is her arrival that we are resolved to witness. 

We know that she is sometimes present, for we have seen the small signs that she leaves behind. We experience her absence as a deep longing for her to return. 

It is this longing that tells us she is real. 


1.

Sans plus de poids que le son
Son origine tombée dans le néant

Impossible lumière des étoiles mortes
Embrasées dans le vide étincelant

Infinie comme une goutte d’eau qui tombe
Ou la fleur d’un amandier

Tremblant sur sa branche
La lumière frappe sa chair, vaincue

Aussi réelle que les étincelles jaillissant d’un fourneau
Tu inondes son visage chaviré

Elle est le seuil où naissent les ombres
Où la lumière découvre ses frontières implacables

2.

Son souffle a embué le carreau. Un petit nuage de son souffle persiste, là, sur le verre. Dehors, la neige tombe. Son souffle a gelé sur le verre. Peut-être a-t-elle parlé, là, tout près de la fenêtre. Qu’aurait-elle dit ? Un mot ? Toute une phrase ? C’est pour nous qu’elle a laissé ce nuage de souffle derrière elle ; pour que nous nous demandions ce qu’elle a bien pu dire, là, tout contre la fenêtre, en regardant tomber la neige.

J’ai attendu dans cette lumière je n’ai fait aucun bruit
Je me suis cachée dans cette lumière je n’ai touché à rien

Elle était seule ici. Personne ne l’aurait entendue parler. Mais peut-être a-t-elle parlé à voix basse. Elle a chuchoté, en regardant tomber la neige. Quel bruit la neige fait-elle, en tombant contre le carreau ? Peut-être a-t-elle voulu parler aussi doucement que la neige qui tombe.

J’ai porté cette lumière sous mes ongles et sur le bout de mes cils et dans le grain de ma peau
je n’ai fait aucun bruit je n’ai touché à rien

Elle est déjà venue ici. Elle va et vient en silence. Souvent elle se tient sans bouger dans l’ombre, son corps plus deviné que vu, comme une meurtrissure sur l’obscurité.

J’ai nagé dans cette lumière sans plus de poids qu’une montagne
J’ai marché dans cette lumière aussi immobile qu’une vague

C’est ici qu’elle est sortie du bain chaud. De la vapeur est montée de sa peau. Ses cheveux ruisselaient. Des gouttes s’accrochaient à ses épaules. Elle a respiré, de longues, de profondes inspirations. Elle a regardé vers la fenêtre. Elle a vu tomber la neige.

J’ai avalé cette lumière et senti sa peine sur ma langue
j’ai filé cette lumière en un cordon destiné à lier mon âme à ma chair
je n’ai fait aucun bruit je n’ai touché à rien

Elle s’avance lentement dans la lumière qui tombe de la fenêtre. La lumière s’accroche à elle. Les ombres des flocons de neige dérivent sur sa peau.

J’ai caressé cette lumière comme l’on caresse un oiseau en plein vol
J’ai proféré à cette lumière les mots ininventés de mon silence

Elle est aussi nue que la neige. La neige qui tombe chuchote à son oreille. Elle écoute. Les flocons de neige qui tombent contre la fenêtre fondent sur le carreau. Elle les regarde disparaître. Son visage est tout près du carreau. Elle se souvient de flocons de neige fondant sur son visage. Elle chuchote à la neige qui tombe.

La lumière dort contre mon corps comme neige qui tombe

3.

Il se peut qu’elle soit tombée avec la pluie. La pluie, gris fer et froide, qui est tombée toute la nuit. Si ce n’est avec la pluie, c’est qu’elle est arrivée portée par le vent. Il s’est levé à l’aube, ridant les flaques, pliant les arbres. Les nuages se sont dispersés au lever du soleil. Si elle n’a été portée ici ni par la pluie ni par le vent, c’est qu’elle a surgi de la terre, comme le premier brin d’herbe au printemps, perçant la neige fondante.

Nous ne trouvons nulle trace de son arrivée. Il n’y a que des indices de sa présence, et peut-être de son départ. Ces indices semblent d’abord insignifiants. Il faut y regarder de très près. Cette marque, là, sur le chambranle de la porte. La voyez-vous ? Une épaule s’est appuyée là, une épaule chaude et moite. Le bois pâle est légèrement plus sombre, juste là, une auréole, un peu comme la plus ténue des ombres.

Nous attendons et veillons, nuit et jour, depuis maintenant si longtemps. Notre nombre décline, il est vrai. Mais ceux qui parmi nous demeurent refusent de perdre espoir.

C’est son arrivée dont nous sommes résolus à être les témoins. 

Nous savons qu’elle est parfois présente, car nous avons vu les petits indices qu’elle laisse derrière elle.

Nous vivons son absence comme un profond désir de la voir revenir.

C’est ce désir qui nous révèle sa réalité. 

Traduction Séverine Magois