Frédérique Germanaud – Fragment du Livre – 2022

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« Juste du bleu – Elan » – 1995
Le rêve que l’on nomme vie

dans la chambre
c’est le corps tout entier qui attend

l’œil au cœur du désir

le chat lèche sa patte droite
la langue l’homme
les livres sur la table

ce qu’on tait
et les feuilles mortes dans l’été
l’ombre sur la toile cirée

l’homme absent

elle nue

elle en désordre sur le sol
endormie ou morte
ouverte aux regards
les secrets sont au-dedans

l’abandon
une lettre
un verre vide

voyages derrière les volets clos à la pleine lumière
oui, morte peut-être

le bleu pour ne pas disparaître

mouches
ah, la folie du corps
et la vie qui se lézarde

on ne sait plus comment tombe la pluie
l’odeur de terre mouillée

le visage dans les bras
la peau déployée

mais
on pourrait mourir
de seule fatigue

tête renversée
pour un baiser
nuque brune
coton blanc
du linge

ce qu’il faut de muscles et de peau
pour un baiser

rien ne vient

rien ne s’inscrit
à la fenêtre

le ciel posé
rien

les chevilles où se niche la jeunesse
toute l’enfance dans le ventre

hommes ignorants

un lot de vertèbres ne forme pas destin

l’aube n’arrive pas
l’amour se fait seul

mordre dans le chaud

restent quelques gouttes de sueur

elles aussi font leur chemin
leur temps d’éternité

est-ce que cela compte ?

Vingt bougies intactes

elle cherche la mer
rien ne répond
que des petits jouets
désarmés

les chats dorment sur le carrelage

cuisses humides

elle ne meurt toujours pas

au miroir
à la porcelaine du lavabo
le regard glisse

elle remonte
elle ment

tout ce sel

l’homme encore

aigre été

les silences les silence
un poil de chat tombe
sur le parquet
déchire l’attente

vient l’orage
elle se raconte de petites histoires

se presser le ventre au balcon du sixième étage

Soleil dur
toutes les choses qui sont dessous
et celles qui manquent

où sont les bras de l’homme

tout fait sexe

elle se souvient des marrons dans la cour d’école
et d’autres voyages tristes

l’inutile santé du corps
la ville et l’avenir dissous par le soleil

rien à penser
du couteau laissé sur la table

on ne se tue pas sans un mot
elle dort
plein jour

le chat calé sur son épaule

échapper au tragique
se réconcilier avec la verticalité
aux arbres rendre hommage
un sursaut
une page

loups invisibles
mais le courage est là
revenu d’entre les morts

elle frotte ses joues
avec une feuille de platane sèche
tombée sur le balcon

jadis on dessinait
sur le mur la silhouette de l’aimé
pour s’assurer de son retour

le voit les yeux fermés
comme dans une chanson
ou le détail dans la photo

sa peau de femme tient tout cela

sans faillir

ce qui fait récit
amour été chat
bloqué

par le secret
cousu de fil blanc

feux de broussaille
feux de forets
c’est là qu’elle est

renifle ses doigts

relève le menton

se couvre de coton
laisse ses genoux nus

sort

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