Sylvie Tubiana – Jean-Pierre Chambon – 1999

Si elle se voue entièrement à la photographie, Sylvie Tubiana produit des images sans cesse traversées et travaillées par l'histoire de l'art: de la composition picturale classique aux expériences d'installations et de déconstructions les plus récentes. Sa formation aux Arts décoratifs de Nice n'est pas étrangère à l'orientation de sa démarche, elle se reconnait d'ailleurs plus volontiers plasticienne que photographe dans sa manière de regarder.
"Ce n'est pas la réalité qui m'intéresse, explique-t-elle, mais la création d'une fiction à partir de cette réalité". Aussi, les éléments qu'elle prélève au réel doivent servir à son dessein, à l'amorce, à l'esquisse, à la suggestion d'une narration. Mais une narration muette, une narration d'avant les mots.
Dans un travail déjà ancien, "Déclinaisons", elle a saisi des fragments d'architectures, dont elle a constitué comme un puzzle, à partir des lignes saillantes de leurs structures, multipliant sur un même sujet les angles d'approche, un peu  la manière des cubistes. Les séquences d'un autre travail, "Story board", tournaient autour d'un miroir ovale accroché à un pan de mur nu. S'y donnaient à lire, dans des séries de triptyques, les reflets d'une fenêtre, des ombres sur le mur, l'approche d'un visage ou celui de l'appareil photographique enfermant les morceaux de la scène dans la même sphère. Un univers saisi par le vertige de l'autofiction, livré par bribes, comme dans un regard détourné, pour ne pas trop en dire, pour laisser sa part à l'imaginaire du spectateur. Pour que la densité du vide maintenu entre les éléments fragmentés, puisse peut-être faire travailler la pensée à combler les écarts,  trouver le lien d'une possible narration, toujours en suspens.
On retrouve, dans les grandes photographies que présente maintenant Sylvie Tubiana, une référence implicite à la peinture, celle des grands maîtres de la Renaissance. Le corps est ici mis en scène par des compositions dépouillées, dans des attitudes souvent rendues complexes, hiératiques ou tourmentées, par des déformations, des distorsions (qui font songer à celles du grand photographe André Kertesz). Celles-ci sont réalisées à partir d'une diapositive projetée dans un espace anguleux et rephotographiées. Sur une partie du corps vient se plaquer, comme un drapé transparent, une bande de couleur, renforçant l'aspect mystérieux des images. Est-ce le mouvement décomposé d'une danse, l'étape d'un supplice disloquant ou d'une métamorphose? Les corps sublimés de Sylvie Tubiana conservent toute leur énigme.