Il y a, dans le regard que Sylvie Tubiana pose sur les objets, une question, qui est celle de l'objet représenté, du problème qu'il représente dès lors que c'est absence qu'il répète, miroir qu'il nous tend, où nous nous abîmons à contempler notre visage, l'idole que, dans l'illusion de proximité où nous sommes, nous prenons pour icône.
On peut bien supprimer la distance, on ne rend pas l'objet plus présent. On ne rendra pas plus réel un corps en le montrant nu et en gros plan. Et même si, inversement, l'éloignement ne signifie pas la proximité, il est certain que la mise en scène – distanciation, si le mot n'était quelque peu détourné de son sens- est la seule façon de faire reculer le vide qui sature nos écrans, mange notre paysage, et nous empêche de chercher ce qui se cache sous l'objet, Heidegger dirait quelque chose.
C'est cela que nous invite à mesurer ici le photographe en arpentant le champ de notre vision, la distance qu'il faut pour que l'objet absent dans la représentation (re)devienne présent comme chose.
Soit un fauteuil, recouvert d'une housse, une table, protégée par un drap (la cérémonie se joue en noir et blanc), une absence pour cause de deuil, ou les vacances, la vacance, des gestes qu'on n'habite plus, qu'on n'habite pas encore, des objets fantômes, des moments qui sont monuments, fragments d'épopée, d'une épopée minuscule, entre la porte et la fenêtre, à l'abri de la poussière, loin des regards obèses, gavés d'obscénité.
Voilà l'objet absent, arraché à l'absence qui est au cœur de la représentation, voilà l'absence qui nous éloigne de l'objet et nous rend proche de la chose, voilà l'absence mimée pour conjurer l'absence (il y a quelque chose de Perec dans ces inventaires, dans ces espèces d'espaces où l'on n'a jamais fini d'emménager-déménager), voilà l'Absence répétée, continuée, comme on dit la Création.
DENIS MONTEBELLO 1988