Fragments d’un discours sur la géométrie du temps, la construction et la déconstruction de l’espace, sur la lumière. N’attendez pas de Sylvie Tubiana qu’elle vous snobe avec le nombre de ses boîtiers ou la longueur de ses objectifs. A peine vous confiera-t-elle qu’elle utilise le négatif comme un tube de couleur. Adepte du noir et blanc, sol y ombre, elle plante comme banderille son regard en ces lieux où l’envie de partir se déchire au désir de rester. » Lieux intangibles » disait Jean Genet ; » ports d’attache » dit- on à La Rochelle où l’artiste travaille. En ces temps de grande chasse aux nomades, qui s’étonnera que le gris n’aspire plus à devenir bleu !
L’errance de Sylvie Tubiana suit un chemin parfaitement tracé. Cela n’empêche pas les découvertes. Plan par plan, image par image, d’une exposition à l’autre, elle bâtit une œuvre qui frappe par son originalité et sa rigueur. Chez elle, se trouvent réunies les marques d’un art authentique : épaisseur de la matière, maîtrise du trait, précision des intentions, richesse de l’inspiration. Sensations.
Habileté…
Virtuose de la technique, elle n’en souffle mot. Ni ne chasse l’image ni ne traque l’instant.
L’image, Sylvie Tubiana la compose, la décompose, la démultiplie en pièces uniques et pourtant indissociables de l’ensemble de ses recherches, la recompose en éléments de séries qui combinent les formats et les clins d’œil au mouvement de l’art : abstraction monochromatique, figures répétitives, couleur flottante (sang comme pull-over rouge), miroir ovoïdal mythique.
Le temps, Sylvie Tubiana l’arrête et le met en scène. Tendue – sa façon à elle d’être de son époque – vers ce point où se rencontrent réalité intérieure et réalité extérieure. Deux mondes que ne séparent qu’un simple interstice de lumière. Ici, des aiguilles de vie échappées de persiennes réveillent l’oubli en apesanteur, drapé à huis clos dans une nappe de blancheur et de silence. Absence qui devient présence. Là, le ciel, menace de plomb, est par-dessus le toit trop bleu trop calme. Quand au miroir, qui sait s’il retient l’espace ou ne peut s’en dérober !
C’est une très forte histoire que nous raconte à livre ouvert, et sur plusieurs plans, Sylvie Tubiana, à travers le double jeu de la liberté confrontée à un univers aux tendances carcérales.
Ne désire-t-on pas partir pour revenir ?
DANIEL GARNIER, 1991