Faire Face – Françoise Paviot Leplus – 1989

" Tout art, dans ses principes d'organisation et dans ses risques de désorganisation, dans ses effets de cohérence et d'incohérence, dans ses manifestations de désir et de désordre, est une métaphore de la vision, à la fois comme aptitude physiologique de la vue et comme emblème de notre pouvoir de changer le chaos en cosmos " Jean Clair

Elle a fait une confiance aveugle à l'appareil, mais elle connaît ce qu'il peut lui donner.
Elle l'a vissé sur son pied, pour le laisser, seul, osciller sur lui-même tout autour de la pièce.
Et lui, bien brave, a dardé son œil unique sur le lieu quotidien et clos. Qu'en a t-il gardé ? Elle le sait et ne veut pas le savoir ; pour l'instant, c'est le geste qui compte. De bas en haut, de gauche à droite, le mécanique et le sensible ont enregistré ce qui ne se regarde plus à force d'avoir été tant vu. Quel anonymat, quelle insignifiance dans ce semis de fleurs très sages, ces rayonnages de livres sans nom, cette penderie béante ou cette fenêtre voilée.
Et pourtant, l'œil tentaculaire palpe les matières, accumule les lignes, caresse le mouvant, révèle la brillance, donne du gris ou de la couleur. La vision s'agrandit jusqu'au trouble, rythmée par les cassures du déclic.
Et l'accident se produit.
A force de tourner sur son pied, l'appareil rencontre son démiurge – à être trop proche cela ne pouvait manquer d'arriver – et le fige dans une forme placentaire et ensanglantée. C'est le rouge du vivant, le noir et la mort, comme dans l'imaginaire coloré des enfants. C'est un corps à corps qui se fait chair photographique aux risques et périls du photographe.
Que va-t-elle en faire ?
Faire face, ramasser les morceaux de réel brisé, assembler les espaces fragmentés, remonter les trois temps de l'empreinte, du regard et du choix.
Le moment d'égarement passé, elle saisit à pleine main ses images, les compose, les construit comme elle l'a déjà fait. Elle manie l'imprévu, le libère, le contrôle. Elle assure le précaire. Elle polit le miroir, le tient à distance et l'encadre.

 

FRANCOISE LEPLUS-PAVIOT 1989