Ito Naga – 2017

Ito_Naga_texte_estampes

Les pensées viennent d’images
fugitives sur lesquelles on colle
des mots. Et les mots à leur tour
créent de nouvelles images.
Je pense à son nom et, dans mon rêve,
la voilà qui apparaît.

Ton dos me manque. Pas ton visage
ni tes mains, ton dos. De haut en
bas, de long en large. Secret, solide,
généreux.

Que voit-on ? Tantôt un corps en
position d’arrêt, tantôt un visage
d’estampe, tantôt une femme-vitrail,
plus sensuelle que la somme des deux
précédents.

Une des choses étonnantes dans l’amour,
c’est la proximité du visage
de l’autre, ses détails vus de si près.
Dans la solitude, tout est maintenu à
distance, on perd l’habitude de voir
d’aussi près.

« Mizu no oto (le bruit de l’eau) ».
Ce sont ces cinq dernières syllabes du
célèbre haïku de Bashô qui suggèrent
le temps suspendu.

On sent parfois plus près de la surface
ce monde intérieur où l’attention
s’engouffre. Il y a dans ce monde des
visages et des choses qui poussent
comme des plantes.

« Faire sécher sa carapace (koraboshi) »
dit-on en japonais d’une personne qui
prend un bain de soleil. A la façon d’un
insecte ou d’une tortue.

La présence d’un arbre rassure. S’il est
là, c’est que la terre le nourrit et que
l’air n’est pas vicié, que je peux moi
aussi me développer.

Des petits enfants si proches qu’il
semble qu’ils vont grimper jusqu’au
cou comme des chatons.

Il y a au Japon une culture de
l’observation. Peu de mots, un regard
tendre et imagé. Au Japon, on peut
exister sans paroles.

On devine sa tendresse à la légère inclinaison
de sa tête. Quelque chose tout à coup
se détend (yurumu) comme on le dit en japonais
d’un air froid et sec qui se radoucit.


Thoughts come from fugitive images
on which one puts words. And the
words in turn create new images.
I think of her name and in my dream
there she comes.

I miss your back. Not your face,
not your hands, your back. From up
downwards, from side to side.
Secret, solid, generous.

What to behold? Now a body at
standstill, now a face in a print,
now a woman as in stained glass,
more sensual than the sum of the two
preceding ones.

Among amazing things in love,
one is the proximity of the other’s face,
details seen from so close. In solitude,
all is kept at a distance, we lose
the habit of seeing from so close.

Mizu no oto (the sound of water)”.
It is these last five syllables of Basho’s
famous haiku that suggest suspended
time.

We sometimes feel closer to
the surface this inner world which
attention rushes into. In this world,
there are faces and things that grow
like plants.

“Drying your shell (koraboshi)
they say in Japanese of people
who bathe in the sun.
Like an insect or a tortoise.

The presence of a tree is reassuring.
If it is there, it means thatthe
earth feeds it and the air is not
contaminated so I, too, can grow.

Small children so close it looks as
if they will climb up the neck like
kittens.

There is in Japan a culture of
observing.Few words, images and
tenderness as you watch. In Japan,
one can live without words.

We can guess her tenderness from the slight tilt
of her head. Something suddenly
relaxes (yurumu) as they say in japanese
of a cold and dry air that turns warmer.

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