Corps de lumière – Dominique Godfrey – 2001

Le corps de Sylvie Tubiana est comme une planète dans un ciel d'encre, il concentre toute la lumière. Mais il n'est pas le sujet de la photographie. En tout cas pas au sens où cela s'entend d'habitude. Volontairement épuré de toute connotation sensuelle, il est une forme plastique, parfois identifiable et parfois non. Comme chez Cindy Sherman – le narcissisme en moins – il est le même, jamais reconnaissable, ferme ou fléchissant, féminin ou masculin, vraisemblable ou déformé.
Sylvie Tubiana ne s'en cache pas, ce n'est pas la réalité qui l'intéresse, mais la création d'une fiction. Elle est plasticienne avant d'être photographe, elle met en scène, recrée, compose. ce que l'on voit est né d'une diapositive projetée sur un support (angle de mur, plafond…) et rephotographiée avec ses étirements, ses déformations, ses oblitérations selon les angles choisis. Une sorte d'anamorphose où les mains ont des doigts infinis, les troncs des géométries erratiques, la peau des reflets bleutés de table de dissection. La texture du support de projection prête son grain improbable à la chair. On serrait tenté de dire qu'il la désincarne dans le même temps qu'il la montre. Troublant jeu d'apparition-disparition, alchimie subtile où le temps à sa part.
Mais la lumière est la grande affaire. Elle est comme un cadeau fugitif, surgie du néant comme un matin, destiné à y retrourner; le corps n'est qu'un passage, un fantôme déjà promis à l'ombre. Pour renforcer l'intensité du contraste, Sylvie Tubiana utilise des tirages argentiques avec des noirs proches de l'absolu. "La lumière est l'essence même de la photographie" rappelle-t-elle volontiers.
Mais, dans le même temps, son trvail entretien un rapport étroit avec la peinture. Avec un usage de la couleur quasi janséniste: de grands à plats monochromes, rouges ou bleus. Les tonalités sont primaires, mais elles renforcent l'ambiguïté, comme un vêtement dont on ne sait s'il voile ou s'il révèle. Elle est posée sur un genou plié, le bas d'un dos, des jambes. Son arbitraire ajoute une incongruité supplémentaire à ce jeu de l'espace et de l'ombre, un incontournable et puissant signe d'étrangeté.